Longtemps, j’ai dit « je fais des photos », puis « je fais de la photo ». Quand devient-on photographe ?
Est-ce au moment du tout premier déclenchement ?
Est-ce le jour du tout premier client ? C’est peut-être le jour où pour la première fois, on s’entend dire « Je suis photographe. »
Récemment, je me suis demandé pourquoi j’étais devenue photographe. Car, jusqu’au jour où il a fallu choisir une voie après le baccalauréat, je n’avais jamais envisagé en faire mon métier. En fait, aussi étrange que cela puisse paraître, je n’avais jamais pensé que cela pouvait être un métier. Les services d’orientation au lycée et les clichés sur les métiers artistiques (« c’est bouché », « ça ne paie pas », « ça n’est pas un vrai métier ») n’aidant sans doute pas.
Pourtant, je faisais énormément de photos à cette époque là. Essentiellement des autoportraits, mais aussi des portraits de mes amies, dont certaines étaient danseuses. Avec elles, j’ai fait mon projet de fin d’année d’Arts Plastiques, sur la trace. Les traces de notre passage, que nous laissons, volontairement ou involontairement. Le jour de l’oral, le correcteur a regardé toutes mes planches, uniquement remplies de photographies, puis il a dit : « C’est hors sujet. La photographie, ça n’est pas de l’art. »
Pendant des années, j’avais appris à être scolaire, à ne pas remettre en question la parole des professeurs. C’était la première fois qu’on m’invitait à me révolter, à m’indigner. Je n’ai pas su le faire ce jour là, mais je sais aujourd’hui que, si la définition d’art est « une activité humaine (…) s’adressant délibérément aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l’intellect. On peut dire que l’art est le propre de l’humain, et que cette activité n’a pas de fonction pratique définie. On considère le terme « art » par opposition à la nature et à la science (…). Il semble toutefois que l’objectif de l’art soit d’atteindre le beau. », alors oui, c’est de l’art, car c’est avant tout un moyen d’expression.
Mais c’est surtout pour moi un moyen de capturer les belles lumières de fin de journée, garder les visages des gens qu’on aime ou la démarche de ceux qu’on croise, graver les émotions. Pouvoir montrer plus tard, pendant longtemps, comment on voit le monde, ce en quoi on croit, ceux en qui on croit. Conserver les souvenirs, ne pas les laisser s’envoler.
Littéralement, photographier, c’est graver la lumière. L’obsession du souvenir, ou plutôt, la peur de l’oubli, est souvent ce qui nous pousse à venir au tout premier déclenchement. Admirer la manière dont la lumière tombe sur un objet, un montagne, ou est-ce un visage, une main ? Vouloir garder cette beauté pour toujours, et s’en emparer. Et, chaque fois qu’on retombera sur cette photographie, se rappeler du moment juste avant et du moment juste après, de la musique qui l’accompagnait, des odeurs qui nous entouraient, de notre état d’esprit à ce moment précis. Elle endosse souvent un rôle de mémoire, car, au moment du déclenchement, la photographie est déjà un témoin du passé.
N’est-ce pas le propre de l’être humain de se demander quelle trace de notre passage nous laisserons ?